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Interview

avec

Stéphane Distinguin

by Ingrid Vaileanu and Florin Paun

Stéphane Distinguin rejoint en 1997 le cabinet Deloitte & Touche. En 1999, il participe à la création d’Up&Up, fonds d’investissement «early stage».  Entrepreneur français et activiste associatif dans le domaine de l’innovation, il crée Fabernovel en 2003.Il a également participé au lancement en France de nouveaux formats d’événements et de rencontres tels que les BarCamps, les MobileMondays, les CleanTech Tuesdays et TEDx Paris, ainsi qu’à la création des coworkingspaces du réseau des Cantines, de PariSoma à San Francisco et de l’accélérateur de start-up Le Camping…

 

Question :

Comment faire en sorte que la rencontre grands groupes / start-up / laboratoires de recherche crée de la valeur ?

Stéphane Distinguin :

La sincérité ? Etre clair sur ses attentes, ne pas cacher les bonnes et les mauvaises raisons d’une rencontre. Et ce mot, déjà galvaudé d’empathie : se mettre à la place de l’autre. Si la sincérité est un sujet qui concerne surtout les grandes entreprises, je suis souvent surpris de la difficulté des start-up et des acteurs de la recherche à comprendre les contraintes des autres organisations. Cette radicalité possède des vertus mais elle est un obstacle et un enfermement dans de nombreux cas. Je pense aussi que pour qu'une rencontre soit réussie, il faut faire preuve de réalisme.

Il faut assumer l’opportunisme et, pour forcer le trait, considérer chaque rencontre comme la dernière. Avec le temps, je ne crois plus aux équilibres stables, pérennes. Nous vivons dans une économie où la vitesse et l’incertitude sont les deux faces d’une même médaille : pour créer de la valeur, la rencontre doit à mon sens être éphémère… Les structures impliquées sont trop différentes pour construire dans la durée et sur un pied d’égalité - et toutes ont leur avantage à pousser.

 

Question :

Dans quelle mesure la révolution numérique et l'open innovation ont-elles permis de modifier les organisations en interne ?

Stéphane Distinguin :

D’abord, parce que le premier effet de la révolution numérique, c’est celui qu’on mesure dans nos vies. L’effondrement du mur qui séparait «vie personnelle» et «vie professionnelle». Le papa qu’on attendait avec ses pantoufles et son journal et dont le premier geste, comme pour appuyer sur le bouton «off» était de retirer sa cravate en rentrant du bureau. Maintenant, papa est tout le temps sur son iPhone. Au bureau, il échange avec maman, à la maison, avec ses collègues. Du coup, les comportements changent, les outils ne sont plus les mêmes et on ne comprend pas pourquoi au bureau on devrait souffrir d’un environnement de travail numérique bien moins bon que celui dont on profite pour ses usages personnels…

Enfin, on est toujours la génération Y de quelqu’un. Je trouve souvent que les généralités sur les générations – a fortiori à l’échelle du monde qui est celle de la révolution numérique – sont des foutaises bonnes pour ceux qui ne veulent pas se rappeler que Julien Sorel était quand même super génération Y, limite hipster s’il avait porté des tatouages et mangé du chou kale. Mais, c’est vrai, la petite poucette de Michell Serres existe. Je l’ai vue, je l’emploie. Les «digital natives» sont par définition une génération spontanée et la première à être née avec Internet.

Elle n’aura pas d’avantage sur les suivantes donc, voire, on peut s’attendre à une forme de rationalisation des usages (je suis en effet persuadé que nos usages numériques seront appelés à être maîtrisés par la loi mais aussi par la norme sociale) mais pour les dix prochaines années, ce sont aux organisations de s’adapter à elle. Mieux, à faire de son accueil l’alpha et l’oméga de leur transformation. En effet, pour se transformer, les organisations vieillissantes auront forcément besoin de cette génération «digital native» et, si elles en ont le potentiel ou mieux, si elles se sont transformées, elles attireront naturellement ces jeunes femmes, ces jeunes hommes qui sont évidemment leur avenir.

 

Question :

Que faudrait-il faire pour que les étudiants étrangers qui sont passés par la France contribuent à "vendre la marque France" de retour chez eux et surtout vendre les start-up Françaises à l'international ?

Stéphane Distinguin :

S. D. : Qu’elles leur soient utiles ? Je parle des start-up. Et c’est vrai que la France, première destination touristique mondiale, ou presque, serait bien inspirée de faire autre chose que de devenir (uniquement) le premier marché d’Airbnb et consorts. Créons, partageons. BlaBlaCar aura sans doute contribué à populariser le covoiturage dans les pays de tous les étudiants passés par la France. Après, franchement, je pense qu’on ne s’en sortira jamais si on veut faire de la France une «marque». On le voit depuis de nombreuses années et ça ne fait qu’accélérer : attentats, grèves, crues de la Seine, tensions sociales…

Est-ce que vous croyez vraiment que c’est une marque qui nous aidera ? La France, c’est une République. Et, effectivement, nous serions bien inspirés d’accueillir les jeunes du monde entier – ces millions de petites poucettes – comme ils le méritent en leur montrant qu’on peut être heureux et bien plus complexe, riche, fécond, qu’une marque. C’est fatigant de donner le bâton pour se faire battre. Et puis, en France, ce n’est pas comme si des marques on n’en avait pas...

 

Question :

Racontez une belle expérience de transformation digitale d'une entreprise française que vous avez observée/ou à laquelle vous avez contribué ?

Stéphane Distinguin :

S. D. : Deux transformations, très différentes dans le fond et la forme, et pour lesquelles j’ai eu la chance de jouer un rôle avec Fabernovel  me tiennent à coeur. Celle de SNCF, car c’est une entreprise publique majeure, qui opère à la fois un service public essentiel et un service concurrentiel de très haut niveau. Elle a dû faire face, ces dernières années, à une évolution radicale dans les modes de consommation et d’achat. SNCF a pris un virage déterminant assez tôt avec la création de Voyages-SNCF, devenu l’un des tout premiers sites e-commerce en France en volume.

Mais SNCF et le numérique, c’est aussi la production, l’équipement de ses collaborateurs et leur maîtrise de nouveaux outils et l’industrie : imaginer ce que Internet des objets pourra réaliser pour un réseau d’une telle taille, d’une telle complexité. SNCF c’est aussi un de mes sujets de prédilection, celui de l’information voyageur et de l’ouverture des données. Un sujet critique à la fois pour la compétitivité de la France et la satisfaction des clients/usagers/utilisateurs. Un enjeu majeur de la relation des acteurs industriels avec les grands champions du numérique, les fameux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon).

Je me dis souvent que SNCF est la fille aînée de l’innovation française, elle a au passage un rôle majeur à jouer auprès des start-up sur tout le territoire. Celle de Saretec, une entreprise leader mais moins connue : le champion français de l’expertise pour les assurances. Nous les avons accompagnés pour leur permettre de lancer des start-up internes. 

C’est une gageure pour une entreprise qui réussit, qui est d’une génération – voire deux – générations précédentes, et qui a recruté ses collaborateurs pour exercer une fonction précise. Pas pour inventer leur futur métier. C’est particulièrement riche, même émouvant, de pouvoir réapprendre à marcher, à goûter et les assister dans cette prise de risque avant l'envol… La direction a été admirable et très impliquée. Ce genre de cas donne confiance et envie.

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