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Photos : A.M. 

Axel Maugey 

"L'ESPRIT FRANÇAIS DOIT RÉAPPRENDRE À RAYONNER SANS ARROGANCE"

 

 

Editorial selectionné pour l'édition 2025 "Visionnaires du 21e siècle" du journal européen www.interviewfrancophone.net 

Dans un monde où les identités se fragmentent et où les valeurs universelles vacillent, Axel Maugey, docteur ès lettres de la Sorbonne et professeur à l'Université McGill, a donné une conférence très appréciée car vibrante, le 14 octobre 2025.

 

Le thème : "L'Esprit français et les défis de l'universalisme contemporain".

 

L’esprit français, c’est une manière d’être au monde : lucide, ironique, nuancé, généreux, soucieux de l’altérité. Mais aujourd’hui, il vacille sous la pression des simplismes identitaires, confie-t-il d’une voix calme.

 

Un esprit en quête de sens.

Pour Axel Maugey, "l'esprit français" allie la raison à l'élégance, la clarté de la pensée et l'exigence du langage. Il s'inquiète cependant d'un certain effacement, d'un renoncement progressif aux valeurs qui ont longtemps fait le prestige de la France. Dans son dernier ouvrage : "L'Esprit français : de Madame de La Fayette à Jean d'Ormesson" (éditions Dacres, 2023), il revisite les figures fondatrices de cette identité intellectuelle : des moralistes, des écrivains et des philosophes. Tous incarnent, selon lui, une forme d'universalité vivante, à la fois exigeante et ouverte.

 

“La France doit se ressaisir, confie-t-il. Non pas en se repliant sur son passé, mais en y puisant la force de se projeter à nouveau dans l’universel.”

 

Entre héritage et modernité.

Entre héritage et modernité. L'orateur s'attarde sur ce qui a longtemps nourri le rayonnement français : une littérature foisonnante, une langue précise et musicale, une certaine idée de la liberté. Dans le contexte actuel, il observe aussi un net recul : la France peine à se réformer, enfermée qu'elle est dans un immobilisme surtout politique et culturel. Sous la Ve République, bien des promesses n'ont pas été tenues. "Nous avons perdu le sens du courage", car nous manquons de lucidité, note Maugey. Et pourtant, malgré le recul français, à l'étranger, une certaine fascination demeure aussi bien dans les mondes russe, québécois, américain du Nord et du Sud qu'africain ou asiatique. Pour beaucoup, la culture française continue d'incarner l’intelligence, la subtilité, le sens critique, la liberté intérieure. D'aucuns reconnaissent que la France a offert au monde un héritage intellectuel et humain de premier plan, incarné à merveille par Voltaire au XVIIIe siècle, Victor Hugo au XIXe, André Malraux et Saint-Exupéry au XXe, Jean d'Ormesson et Marc Fumaroli dans ce premier quart du XXIe siècle. 

LE COMBAT DE LA FRANCOPHONIE : La langue française, appréciée un peu partout, reste pour Maugey notre plus grand trésor national.

 

Avec plus de 350 millions de locuteurs aujourd'hui — et peut-être 700 millions en 2050, à condition d'accompagner l’apprentissage du français et son développement — la Francophonie constitue un espace vivant, multiple, capable de réinventer l'universel. Ce qui n'empêche pas notre conférencier de mettre en garde contre certaines dérives, telles que le wokisme, l’entrismе, le communautarisme, le populisme.L’Occident a perdu contact avec les grandes histoires, les valeurs et les symboles qui avaient autrefois construit sa civilisation.

 

L’esprit français, lui, vit toujours de nuance, pas d’indignation. Il est difficile en effet d'empêcher la modernité de frapper à notre porte. Il faut cependant la réguler. L'université française devrait régulièrement se remettre en question en instituant un meilleur pluralisme. Les médias aussi. Quant à la politique culturelle, elle se grandirait en tenant mieux compte de la nécessité du pluralisme, soutien d'une meilleure démocratie.

 

Pour Maugey, nul doute que la France devrait cesser de se battre la coulpe en permanence, refuser de laisser de côté les grands moments de son histoire et partager avec ceux qui l'apprécient, comme notamment l'un des coeurs de l'espace francophone : le Québec, qu'il connaît intimement. Par ailleurs, il pense que le renouveau est à portée de main, comme en témoigne le chantier exemplaire de Notre-Dame de Paris.

 

Ainsi, à l'image de Notre-Dame, la France pourrait mieux aller de l'avant, en retrouvant le goût de l'intelligence collective et du dialogue universel. Au monde de l'édition notamment et à nos nouveaux penseurs d'en offrir les meilleurs exemples.

 

DIALOGUER PLUTÔT QUE S'INDIGNER.

 

Lors des échanges avec le public, les discussions se sont élargies à la question brûlante de l'universalisme contemporain. Comment articuler à présent mémoire, identité et ouverture ? Comment préserver la singularité française tout en accueillant les cultures qui l'enrichissent ? De nombreux écrivains francophones et francophiles rappellent leur attachement à la France et surtout à sa langue. Ils montrent souvent de façon étonnante le chemin qui mène à "un monde multipolaire". Des francophones et des francophiles venus de tous les horizons ont compris, entre autres, la générosité, la force et le rayonnement d'un Victor Hugo, écrivain exemplaire, toujours tourné vers l'humanité. Le défi moderne de "L'Esprit français" consiste donc à favoriser l'accueil des divers visages de notre planète. 

De nos jours, de façon encore plus importante qu'hier, la langue française s'intéresse à la diversité. Dans cet espace en français rénové, lié à de nombreux autres espaces, de multiples exemples dessinent les nouveaux chemins d'un humanisme mondial. Ces écrivains et penseurs viennent des quatre coins de notre planète. Des Amériques tout d'abord, notamment d'Haïti, terre de courage, avec Dany Laferrière et Yanick Lahens. Des États-Unis, espace étonnant, porté par des voix aussi diverses que celles d'Alain Mabanckou, de Pierre Salinger ou de Zachary Richard, pour ne citer qu'eux. D’Amérique latine, une si belle mosaïque, d'où s’élèvent des voix emblématiques, telles celles de Jorge Luis Borges, de Pablo Neruda, de Mario Vargas Llosa et de Gabriela Mistral. D'une Europe au sein de laquelle se déploie la délicieuse Roumanie, traversée par les souffles tumultueux d'Elie Wiesel, de Virgil Tănase et de Virgil Gheorghiu.Ou encore des voix européennes venues de plus loin, de Russie, avec celles de Romain Gary et d'Irène Némirovsky, deux visages, parmi tant d'autres. D'Afrique, continent fabuleux où mille et une voix apportent à notre monde occidental les douceurs verbales de cet Orient fascinant. Parmi elles s'imposent en Algérie Kamel Daoud, Yasmina Khadra et Rachid Boudjedra, voix tournées vers la vérité, ou, venue du Maroc si proche, celle de Tahar Ben Jelloun. Mais aussi, bien sûr, n'oublions pas les vastes respirations de cette Francophonie en devenir : le Sénégal de David Diop, la Côte d'Ivoire d'Ahmadou Kourouma et le Congo foisonnant de Sony Labou Tansi. Reste, parmi tous les oubliés de notre liste bien modeste, l'Asie et en son coeur la Chine séculaire, avec un paradigme éblouissant : François Cheng, auteur plongé lui aussi au coeur du dialogue des cultures et dont l'itinéraire est impressionnant. 

Pour beaucoup de ces écrivains, le français s'affirme comme le salut contre "l'Occident conquérant". ”Nous aimons la France, son esprit, sa langue. Nous voulons y contribuer sans renier pour autant nos origines”, confient ces écrivains et penseurs. Leur vision rejoint celle de Maugey : un universalisme à l'échelle de notre temps, "réparé", fondé sur le dialogue, la reconnaissance historique et la réciprocité. Lors de cette conférence, Axel Maugey met aussi en garde contre la dégradation du langage et de l'enseignement : 35 % des élèves de sixième en France seraient aujourd'hui en situation d'illettrisme. Que peut à présent offrir la France au monde dans le futur ? interroge-t-il. Elle peut offrir, entre autres, l’urgence d’un humanisme actif, réactivé, généreux, adapté, à condition d'inculquer l'amour de la langue française aux nouvelles générations. 

Face à la technologie omniprésente, à la consommation instantanée et à la paresse intellectuelle, Maugey appelle à une résistance de l’esprit : “L’intelligence artificielle ne doit pas tuer notre capacité émotionnelle. C’est elle qui fonde l’humanisme.” Il faut de toute urgence apprendre aux jeunes à mieux réguler leur temps (par exemple réduire le temps passé devant les écrans). L'IA et les réseaux sociaux ne doivent pas empêcher de distinguer le vrai du faux.

 

On peut espérer — à condition de bien les utiliser — que les nouvelles technologies feront naître de nouvelles créativités.

 

La vitesse doit cependant être domptée en privilégiant le raisonnement, grâce à la lecture, qui apporte au cerveau calme, lenteur et réflexion. Un tel recul offert par la lecture est également un bon inhibiteur de violence. L'intelligence artificielle, si elle reproduit nos mots, ne doit en rien anesthésier notre sens du rythme, de la nuance et de la poésie, ces forces intérieures qui font de la langue française un instrument d'humanité, notre humanité si précieuse. L'avenir réside aussi dans un dialogue créatif entre la tradition et les nouvelles expressions culturelles — y compris le hip-hop — "brut et poétique à sa manière".

 

En conclusion, Axel Maugey invite à un sursaut : “L’esprit français doit se reconfigurer. Il n’est pas mort ; il attend qu’on le ravive, le frotte davantage aux autres espaces.” Il cite Charles Pépin, Louis Pasteur Vallery-Radot et Stefan Zweig qui plaident pour un humanisme du doute, de l'ironie, de l'ouverture, de la connaissance et de la lucidité. Il s'agit, selon Maugey, d'élargir l'universel aux mémoires longtemps exclues — sociales, coloniales ou culturelles —, sans renoncer à la rigueur intellectuelle ni à la beauté du verbe. 

 

Dans un monde multipolaire où l'anglais porte la voix d’un Occident déclinant, le français offre une possibilité d'altérité universelle par ses valeurs, par ses mots, par sa créativité exceptionnelle. Ainsi, conclut Maugey, l'universalisme français ne doit plus être une idéologie abstraite, mais une éthique du lien : lucide, exigeante, profondément humaine, fidèle à cette clarté française qui éclaire sans dominer. 

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